Un "Petit Prince" ou une "Petite Fille" ? ( N° 1255 )
Jour de pluie en vacances. Mamie ne peut emmener Quinquine qu'au cinéma. Film du moment : "Le petit Prince". Mamie a aimé ce conte de saint Exupéry. On annonce le film comme "L'histoire du Petit Prince dans une histoire". C'est honnête et on sait d'avance qu'il s'agit de la confiscation du titre d'un chef d'œuvre, pour commercialiser un film d'animation. On aurait pu l'appeler: "La petite Fille".
La petite fille a 9 ans. Quinquine pourra s'identifier .... La maman de cette enfant - dont on ne sait jamais le prénom - ne connaît qu'une seule valeur pour elle et pour sa fille : la réussite par le travail. Plannings, livres, classeurs, examens, meilleure école, sont l'environnement obligatoire.
Tous les adultes sont d'ailleurs des maniaques de la vitesse, des forçats du travail, des caricatures grotesques. Je ne peux montrer aucune image d'eux, car, étrangement, aucune n'apparait dans les publicités sur le film.
Mais voici une scène, qui revient systématiquement, où la mère et la petite se lavent obsessionnellement les dents :
Le personnage principal du film, la petite fille, vit donc dans un monde d'où il vaut mieux s'échapper. Son amitié avec l'aviateur tombé dans le désert va le lui permettre . Ce dernier, devenu vieux, n'a pas lui-même grandi, poète depuis sa merveilleuse rencontre avec le Petit Prince .
Voilà du Saint Exupéry, même si le personnage ESSENTIEL qu'est le Petit Prince ( "qu'on ne voit bien qu'avec le cœur ") n'apparait qu'environ 20 minutes dans un film d' 1 heure 20 .
La fillette intrépide et curieuse restera toute étonnée et sans plus l'envie de grandir.
Il y a donc un monde imaginaire où tout est possible et aimable. C'est l'avion, restauré par magie, qui l'y amènera .
Là-haut, il y a les rencontres avec les éléments du livre : la rose, les étoiles, le vent qui fait voler l'écharpe du Petit Prince, le renard que la petite apprivoisera bien, le baobab, la petite planète . Mais ils ne sont que des accessoires d'une course acrobatique .
Oh la poésie de cette unique rose qui suffit au bonheur, alors que les humains en cultivent des centaines sans le trouver
Il convient d'encenser les qualités techniques de ce film, qui a nécessité des années de travail et fut présenté à Cannes . Deux procédés montrent bien l'opposition entre rêve et réalité, entre ciel et terre, entre poésie et humanité, entre fantaisie et contrainte. Ce sont d'une part des images de synthèse, d'autre part le procédé "stop motion" qui permet de respecter les illustrations à l'aquarelle du livre. Une chanson douce: "Elle s'en va", par la chanteuse Camille, nous fait décoller avec l'enfant et l'aviateur. Saint Exupéry n'est pas trahi, on sait qu'il est aimé des réalisateurs du film et des doubleurs de voix.
La sentence est la même au cinéma et dans le livre, mais elle est imposée à l'écran, tandis qu'à la lecture elle s'intériorisait en chacun. Les enfants spectateurs , dont ma petite Quinquine, percevront-ils la différence entre " bien grandir" et "grandir bien" ?
P.S. Si de mes lecteurs ont vu le film, leur avis m'intéresse, en commentaire même anonyme . Ces impressions sont personnelles, au lendemain d'un spectacle qui m'a parlé, à double titre. Cet article est le fruit de recherches et d'une patiente quête de photos sur Internet. Il n'engage que moi. Marie-Jeanne.