Qui ( ou quoi ) a tué le père d'Edouard LOUIS ? ( N° 1852 )
Edouard LOUIS, né à AMIENS, revient sur l'histoire de son père: "Il n'y a dans le langage presque que des négations pour exprimer ta vie".
A travers le récit de son enfance avec cet homme soumis à la violence sociale, le romancier veut démontrer comment la politique a physiquement détruit son père.
Il travaillait à l'usine. Un accident du travail lui a broyé le dos. Il ne peut plus travailler. La douleur et l'ennui finissent par prendre toute la place. Plus tard, il devra reprendre le travail malgré la douleur. Balayeur dans une ville loin de chez lui, dos courbé, pour 700 euros par mois.
Voici la critique de Laurence HOUOT journaliste à Culturebox avec beaucoup d'extraits du livre :
Édouard Louis ne tourne pas autour du pot. Il donne des noms :
"Jacques Chirac et Xavier Bertrand te détruisaient les intestins",
"Nicolas Sarkozy te faisait comprendre que tu étais en trop dans le monde, un voleur, un surnuméraire, une bouche inutile",
" Martin Hirsh te broyait le dos",
"Hollande, Valls et El Khomri t'ont asphyxié",
"Emmanuel Macron t'enlève la nourriture de la bouche".
Édouard Louis donne les noms de ceux qui "prononcent des phrases criminelles parce qu'ils ne savent pas".
Car qui sait l'effet d'une augmentation de 100 euros de la prime de rentrée ? "Tu étais fou de joie, tu avais crié dans le salon : on part à la mer et on était partis à six dans notre voiture de cinq places (…) Toute la journée avait été une fête".
"Je n'ai jamais vu de famille aller voir la mer pour fêter une décision politique, parce que pour eux la politique ne change presque rien",
dit Édouard Louis. Pour son père, elle change tout : "L'histoire de ton corps accuse l'histoire politique".
Et encore :
Dans le monde du père, on boit beaucoup et on a une idée bien précise de ce qu'est un homme. On ne rigole pas sur ces questions-là, surtout devant les copains. Alors avoir un fils qui aime jouer la fille, un garçon qui travaille bien à l'école, c'est la honte.
Cette histoire, Édouard Louis l'avait déjà racontée dans "En finir avec Eddy Bellegueule" .
Il y revient. "Mais est-ce qu'il ne faudrait pas se répéter quand je parle de ta vie puisque des vies comme la tienne personne n'a envie de les entendre ? Est-ce qu'il ne faudrait pas se répéter jusqu'à ce qu'ils nous écoutent ? Pour les forcer à nous écouter ? Est-ce qu'il ne faudrait pas crier ? Je n'ai pas peur de me répéter parce que ce que j'écris, ce que je dis ne répond pas aux exigences de la littérature, mais à celles de la nécessité et de l'urgence, à celle du feu".
Ici, ce sont des images, des souvenirs qui remontent. Édouard Louis enchaîne des dates, pas la chronologie. Il y a les souvenirs pénibles
: "Un soir, dans le café du village, tu as dit devant tout le monde que tu aurais préféré avoir un autre fils que moi. Pendant plusieurs semaines j'ai eu envie de mourir".
Il y a aussi ce que le père n'affiche pas : des photos de lui déguisé en majorette, des mots pour défendre son fils dans l'intimité d'un commissariat de police, des fous rires partagés, des larmes volées, des fiertés rentrées, des déclarations d'amour camouflées.
Et tout à coup, au milieu de la page 29, suspendue comme un esquif, cette phrase : "Il me semble souvent que je t'aime".
Puis, un peu plus loin, une autre phrase en lévitation : "Est-ce qu'il est normal d'avoir honte d'aimer ?"
Tout est dit. "Qui a tué mon père" est un pamphlet politique sec et tranchant, et une magnifique lettre d'amour adressée à un père.
Un livre d'urgence, porté par une voix littéraire qui s'installe avec évidence.
Et enfin : Le livre s'ouvre sur une hypothèse. "Si ce texte était un texte de théâtre, c'est avec ces mots là qu'il faudrait commencer : Un père et un fils sont à quelques mètres l'un de l'autre dans un grand espace, vaste et vide." Le fils constate. Il n'y a plus grand-chose à faire pour raccourcir le gouffre creusé entre eux depuis son enfance. Ce livre, dédicacé à Xavier Dolan, scénariste réalisateur, lui est adressé.
L'invitation d'Édouard Louis à lire son livre comme un texte de théâtre a été entendue par Stanislas Nordey. Il présentera une adaptation de "Qui a tué mon père" au théâtre, en mars 2019.
On pourra voir en 2019 également au théâtre, un autre texte d'Édouard Louis, "Histoire de la violence".
Voici maintenant la critique par Frédéric BEIGBEDER écrivain et critique littéraire :
L' ECRIVAIN PLAINTIF EST DE RETOUR. GERMINAL REECRIT PAR CALIMERO.
Pour ses 85 pages, Edouard LOUIS cherche l'inspiration. " De quoi pourrais-je me lamenter aujourd'hui ? Le racisme et l'homophobie des Ch'tis ? C'est fait... Ah oui, il me reste la maladie de papa." La littérature actuelle vit sous le joug de la dictature du gémissement. Edouard Louis a la douleur récurrente...